Dimanche
27
nov 2016
Jamet le dimanche ! Un casier politique
Dominique
Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également
journaliste depuis... toujours tient chaque semaine sur le site de
Debout la France une chronique où il commente très librement l'actualité
politique.
C’était
joué. Plié. Verrouillé. En grand professionnel de la politique, Nicolas
Sarkozy avait rédigé, séquence par séquence, le scénario de son grand
retour gagnant. Quel rival pouvait redouter l’homme qui avait fait main
basse sur la présidence, l’appareil, le fichier et les investitures du
grand parti dont il était le fondateur et où il se targuait d’être resté
le mâle dominant ? Que pouvait-il craindre de concurrents qui avaient
tous été ses « collaborateurs » et dont certains lui devaient leur plus
ou moins résistible ascension ? Sur cette base, et fort du soutien d’un
noyau dur de militants dont les acclamations lui montaient à la
tête, l’ancien chef de l’Etat avait pris son parti d’une primaire
ouverte à tous les électeurs et à tous les vents. On sait ce qu’il en
est advenu.
La
participation massive constatée dimanche dernier a déjoué tous les
calculs, tous les pronostics, et fait éclater un certain nombre de
baudruches gonflées de leur importance. Quatre millions de votants – à
l’image de ce qui s’est passé en juin de l’autre côté de la Manche et au
début de ce mois outre-Atlantique – ont bousculé les sondeurs, les
médias et les favoris déjà vainqueurs dans leur tête. C’est le côté
positif - le seul - d’un scrutin qui remet en selle les vieux partis,
d’une consultation dont le principe même est peu compatible avec
l’esprit de la Ve République.
Car,
d’autre part, ce premier tour a introduit la fraude, la triche et
l’incivisme au cœur même d’un événement salué par des commentateurs
hâtifs comme une avancée démocratique. Près d’un million de votants,
soit le quart des exprimés, venus les uns de la gauche les autres du
Front national, se sont infiltrés dans la primaire pour en fausser les
résultats au prix d’un léger parjure de derrière les fagots et en
fonction de calculs politiciens dignes d’un congrès radical
d’avant-guerre ou d’élections internes de feue l’UMP. Ces petites
manœuvres comme ceux qui les ont inspirées et encouragées frappent de
suspicion et nimbent d’illégitimité le grand exemple que l’on prétendait
donner aux quarante millions de citoyens qui se sont abstenus de
prendre part à cette comédie à l’issue de laquelle, nous dit-on, devrait
être désigné dès ce soir le président de la République dont l’ensemble
du corps électoral sera invité à entériner le choix au printemps
prochain. Simple formalité, nous disent déjà les habituels diseurs
professionnels de mauvaise aventure.
Quoi qu’il
en soit, en permettant à celui qui, presque jusqu’au bout, aura
passé pour un outsider, voire pour un tocard, de doubler Nicolas Sarkozy
et dans la foulée de reléguer Alain Juppé à quinze longueurs le soir du
premier tour, les 44% d’électeurs qui se sont prononcés pour l’ancien
Premier ministre ont souhaité fairele choix de la personne la plus
digne, en tout cas la moins indigne, de la haute fonction à
laquelle elle aspirait. Jamais condamné, jamais mis en examen, jamais
compromis dans aucune affaire de droit commun, François Fillon ne traîne
derrière lui aucun bruit de casseroles et peut produire à la demande un
casier judiciaire vierge. C’est une originalité parmi les dirigeants
historiques des « Républicains ».
Ce
que l’on pourrait appeler soncasier politique est en revanche bien
rempli. Elu de la Sarthe dès 1981, député sans relief
particulier mais régulièrement réélu, toujours discret mais ministre, à
six reprises, « collaborateur », enfin, du flamboyant Nicolas Sarkozy,
en tant que chef du gouvernement, mais tenu en laisse, il y a maintenant
trente-cinq ans que François Fillon est entré dans la course aux
honneurs et que, sans avoir commis de grandes fautes, ni avoir brillé
d’un grand éclat, ni s’être fait beaucoup d’ennemis il s’y est
progressivement faufilé jusque sur le devant de la scène.
D’abord
gaulliste social et mettant avec application ses pas dans les pas de
Philippe Séguin, jusqu’à voter contre le traité de Maastricht, François
Fillon n’a pas tardé à comprendre qu’il n’y avait d’avenir pour lui au
sein de la droite de gouvernement que s’il rentrait dans le rang et
renonçait aux convictions qui sont sans doute restées profondément les
siennes. Comme tant d’autres, il a plié devant l’orthodoxie européiste
et atlantique. D’où une sorte de sciatique morale comparable à la
sciatique physique qui l’avait frappé à force de subir les avanies et
les humiliations que lui avait prodiguées le président de la République.
Certains accents qui lui sont échappés lors de la campagne des
primaires, et qui ont pu séduire ici et là donnent à penser que M.
Fillon est un patriote contrarié, comme il existe des gauchers
contrariés.
On avait
apparemment sous-estimé son endurance, sa ténacité et sa capacité
d’encaissement. Ce n’est pas en revanche faire injure à l’ancien Premier
ministre de rappeler que, tout au long de sa carrière, le courage n’a
jamais été la première qualité qu’on lui prêtait. Or, à la surprise
générale, l’actuel favori des sondages et des électeurs de la droite (et
du Centre ?) a présenté un programme plus libéral,plus conservateur,
et surtout plus brutal que ceux de ses concurrents, qui déjà allaient
loin dans le même sens.
Conforme
à des idées qui, lancées dans les années 80, ont fini par s’imposer,
avec trente ans de décalage, à des dirigeants qui datent de la même
période, le programme de la droite (et du Centre ?) est conçu pour
plaire aux multinationales, aux classes les plus aisées, à tous ceux
qui, au nom de la modernité, s’accommodent et profitent de la
mondialisation. C’est en revanche une déclaration de guerre aux
syndicats, aux salariés, aux chômeurs, aux précaires, aux pauvres, à
toutes les victimes d’un libéralisme sans frein, sans frontières et sans
contrôle. Sous prétexte de s’en prendre aux « avantages acquis », on
attend des Français qu’ils travaillent plus dur et plus longtemps, on
prétend plafonner ou diminuer les allocations de chômage dans un
contexte de crise de l’emploi, dérembourser les frais de
santé, compenser la baisse des impôts directs par la hausse de la TVA,
revenir au type de dialogue social en usage sous le Second Empire,
déléguer ou démanteler les services publics et remettre en question le
statut des fonctionnaires…et tout cela dans les cent premiers jours du
quinquennat, et par ordonnances.
Faut-il
vraiment faire payer aux Français, ou à la moitié des Français, les
fautes qu’ont commises depuis trente ans leurs dirigeants ? Faut-il
prendre le parti du libéralisme et de l’austérité quand deux grands pays
du monde occidental, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne amorcent le
grand tournant d’une relance keynésienne ? De deux choses l’une : soit
M Fillon (ou M. Juppé) tentent d’appliquer le programme qu’ils
proposent, et c’est la guerre sociale. Soit ils renonceront à
des engagements insensés qui ne dureront même pas le temps que durent les
roses, et ne laisseront le souvenir que d emensonges démagogiques et
d’illusions perdues. Comme d’habitude. Avec les conséquences
prévisibles, au plus tard en 2022…
Serions-nous donc
condamnés à choisir entre les incompétents de gauche et les incapables
de droite, avec pour seule alternative le triomphe d’extrêmes
irresponsables ? Le pire n’est jamais sûr. A ceux qui cèderaient
au désespoir, rappelons une fois encore qu’ils disposent d’une arme
absolue, le bulletin de vote. Les élections sont le piège mortel où se
prennent et succombent les partis les mieux installés et les favoris les
plus arrogants. Un chiffre à méditer : c’est dans les huit jours qui
ont précédé le premier tour de la primaire de la droite (et du Centre ?)
que la moitié des électeurs qui ont opté pour François Fillon ont fait
leur choix.