Dimanche
26
juin 2016
Jamet le dimanche ! Bientôt le printemps...
Dominique
Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également
journaliste depuis... toujours tient chaque semaine sur le site de
Debout la France une chronique où il commente très librement l'actualité
politique.
Banlieusard ou rural, d’âge mûr, si ce n’est déjà
blet, peu éduqué, voire quasiment analphabète, tel est, à en croire les
médias comme il faut, le portrait-robot du partisan du « Leave ».
Citadin, et mieux encore londonien, jeune et brillant, ultra-diplômé,
intelligent, ouvert et raffiné, ainsi est généralement décrit le tenant
du « Remain ». Peut-être en cherchant bien trouverait-on un ou deux
profils plus flatteurs parmi les quelque dix-sept millions d’électeurs
qui ont voté pour le Brexit. Peut-être en cherchant encore mieux
dénicherait-on un ou deux imbéciles au front bas parmi les seize
millions qui n’en voulaient pas. Mais pourquoi se donner cette peine ?
Voter « non » jeudi dernier ne pouvait être le fait que d’un plouc, au
mieux abusé, au pire xénophobe et raciste. Voter « oui », c’était se
conduire en citoyen éclairé, en humaniste, c’était être une lumière. Les
mêmes vertus, le patriotisme et le courage, qui ont fait du Royaume-Uni
il y a soixante-quinze ans l’ultime défenseur de la liberté dans le
monde étaient soudain devenues les stigmates de l’extrême-droitisation
du pays. Et c’est ainsi qu’à peine le verdict populaire rendu, plus de
deux millions de mauvais perdants, de mauvais joueurs, en toute bonne
conscience, dans un déni de démocratie sans précédent, n’hésitent pas
exiger un nouveau referendum qui viendrait corriger le résultat erroné
de cette première consultation décrétée sans valeur, puisqu’elle n’a pas
répondu aux attentes, aux consignes, à la propagande et au chantage à
la peur de la Bourse, de la Banque, de la City et du Parlement.
Le droit de vote outre-Manche devrait-il être réservé aux traders
et à la gentry ? Une telle démarche est révélatrice du mépris dans
lequel les classes dirigeantes tiennent les classes populaires et du
fossé qui, en Grande-Bretagne comme chez nous, ne cesse de s’élargir
entre des élites coupées de la réalité et les vraies gens, les « gens
ordinaires ». A l’arrogance des uns a répondu l’insolence des autres.
Contrairement aux vingt millions d’électeurs français qui en choisissant
de s’abstenir font le jeu de ceux mêmes qu’ils voudraient rejeter, les
mécontents, de l’autre côté de la Manche, n’ont pas laissé passer
l’occasion qui leur était donnée de s’exprimer et d’exprimer leurs
colères et leurs aspirations. Colère contre des gouvernements qui, de
gauche ou de droite, n’ont pas su ou voulu les protéger de
l’immigration, de la paupérisation, du terrorisme, colère contre le
développement d’une concurrence internationale déloyale, contre un
ultra-libéralisme sans frontières, contre les méfaits de la
mondialisation. Colère des faibles, des pauvres, des précaires que la
transformation du monde laisse au bord de la route. Aspiration du retour
à un temps où l’Angleterre, jalouse de son indépendance, régnait sur
les vagues et sur le monde.
Qu’un Londonien aisé se félicite d’habiter la plus
cosmopolite, la plus vivante, la plus internationale des capitales (40%
d’étrangers, il n’y a que Bruxelles qui fasse mieux), qu’il trouve
plaisant et enrichissant le mélange des cultures et des cuisines, qu’il
se réjouisse d’avoir recruté une « nanny » polonaise ou nigériane qu’il
paye des clopinettes pour accompagner ses enfants à l’école est une
cbose. Ceux qui ont dû quitter le centre des grandes villes parce qu’ils
n’arrivaient plus à s’y loger, ceux qui habitent des banlieues-ghettos
où ils sont devenus minoritaires, ceux qui doivent survivre avec trois
cents livres par mois, ceux qui doivent subir l’iniquité des contrats
zéro heure, ceux qui ont vu fermer les mines et les aciéries où ils
travaillaient, victimes de la concurrence chinoise ou indienne, ceux qui
ont perdu leur emploi de routiers ou de saisonniers au profit de
travailleurs polonais, roumains ou bulgares sous-payés, ceux qui ont vu
leurs salaires baisser sous la pression des nouveaux venus, ceux qui ne
savent plus dans quel pays ils vivent ne partagent pas son euphorie.
Londres a voté massivement oui. Londres n’est pas toute l’Angleterre.
Londres n’est pas Newcastle ou Cardiff. Les riches sont contents de leur
sort, tant mieux pour eux. Tous les Anglais ne sont pas riches.
Le séisme du 23 juin n’est que le premier de la
série de secousses qui vont bouleverser l’Europe. Nouveau signe du
réveil des peuples, annonciateur du printemps européen, il ne peut
qu’accélérer la ruine de cette construction branlante qu’était l’Union
européenne, cet improbable ménage à vingt-huit. Il sème la panique aussi
bien dans les rangs des eurocrates qu’à l’intérieur des vieux partis
qui, déjà condamnés par l’histoire, le sont désormais par les électeurs,
en Italie la semaine dernière, en Grande-Bretagne hier, en Espagne
aujourd’hui, en France demain.
Comment vont réagir les grands, si petits, du
microcosme europhile ? Que M. Juncker ou M. Schulz demandent que l’Union
soit déclarée en état de catastrophe naturelle et appellent à des
sanctions contre un peuple coupable d’avoir mal voté n’a rien de
surprenant. L’eurocratie défend ses privilèges et son existence même. En
revanche le président français, certes euromane depuis toujours, a-t-il
été bien inspiré de hausser le ton et de menacer l’Angleterre, alors
que de notoriété planétaire il est désormais incapable de faire régner
l’ordre dans ses rues, dans son parti et dans son gouvernement ? Où
pense-t-il que le mènera cette fuite en avant ? Qui croit-il qui redoute
ses foudres de carton ? Alors qu’il avait maladroitement fait connaître
sa préférence pour le maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union, le
président Obama, sitôt connu le résultat du referendum, a reconnu le
fait accompli. Quant à la chancelière allemande, elle estime devoir se
conduire dans cette affaire avec calme et retenue et ne rien faire qui
nuise aux relations de toutes sortes, diplomatiques et surtout
commerciales, entre son pays et le Royaume-Uni. Demain, l’Allemagne et
la France, à Berlin, défendront des points de vue très différents, pour
ne pas dire opposés. A votre avis, de Mme Merkel ou de M. Hollande,
lequel l’emportera ?