Dimanche
03
juil 2016
Jamet le dimanche ! Michel Rocard.
Dominique
Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également
journaliste depuis... toujours tient chaque semaine sur le site de
Debout la France une chronique où il commente très librement l'actualité
politique.
Quel président de la République aurait été
Michel Rocard ? On peut l’imaginer, on ne le saura jamais. Engagé dans
la course dès 1969 sous la bannière, d’un rose tirant sur le rouge, du
parti marginal qu’était le P.S.U., il avait obtenu le score modeste mais
honorable de 3,61% des voix. Par la suite, rentré dans le rang, plus
précisément dans les rangs du Parti socialiste et devenu une
personnalité politique de premier plan, il s’y vit par deux fois barrer
la route non seulement de l’Elysée mais d’abord de la candidature à
l’Elysée par un adversaire plus expérimenté, plus rusé et plus coriace
que lui.
C’est à contrecoeur
et sous la contrainte de l’opinion, que François Mitterrand, réélu en
1988, ouvrit les portes de l’enfer de Matignon à ce rival mal aimé dans
l’espoir à peine dissimulé de le voir s’user rapidement aux affaires. Il
y réussit au contraire et on lui doit l’institution du RMI, de la CSG
et le rétablissement de la paix civile en Nouvelle-Calédonie. Michel
Rocard reçut donc le salaire de sa réussite sous la forme de son
éviction au profit d’Edith Cresson. Erreur de vieillesse.
Les dépêches qui
nous ont appris hier la mort de Michel Rocard rappelaient naturellement
qu’il avait été le Premier ministre de François Mitterrand. Il aurait été plus conforme à la réalité de dire qu’il fut Premier ministre sous François Mitterrand comme Jésus, selon le rituel catholique, a souffert sous
Ponce-Pilate. Le numéro un, ce sont des choses qui arrivent, était deux
fois jaloux de son numéro deux : jaloux d’une autorité qu’il lui était
insupportable de déléguer, jaloux d’une popularité qui lui faisait de
l’ombre, et que peuvent effectivement envier ceux qui ont succédé à
Rocard dans le poste le plus exposé et finalement le plus ingrat de la
Ve République.
Les rares atomes
présents dans le vide sidéral qui régnait entre un président littéraire
et florentin et un Premier ministre à la fois pragmatique et dogmatique
n’avaient rien de crochu. Par la suite, les petits camarades de Michel
Rocard, à commencer par Laurent Fabius et Lionel Jospin, savonnèrent
efficacement la planche à celui qui apparaissait comme le dauphin le
plus légitime du monarque disparu et cristallisait donc contre lui la
cabale de toutes les ambitions.
Michel Rocard,
depuis quelque temps, était discrètement et gravement malade. On avait
souvent moqué, du temps qu’il était sur le devant de la scène, son
élocution désordonnée et sa phraséologie brouillonne. De fait, les idées
qui foisonnaient et se succédaient dans sa tête à un rythme effréné se
bousculaient dans sa bouche. Son esprit n’en était pas moins aussi clair
que fécond, jusque dans l’ombre de la mort, et on peut encore le
constater dans la très longue interview que l’hebdomadaire Le Point,
par une coïncidence qui ne doit rien au hasard, publiait il y a
seulement dix jours en la présentant à juste titre comme son testament
politique.
Celui dont les
médias qui rivalisaient hier d’éloges à son endroit faisaient
l’incarnation de la gauche moderne, de cette social-démocratie qu’il
voulait, à l’image du SPD allemand, réconcilier avec la réalité et le
marché tout en lui gardant sa dimension humaniste et progressiste, n’y
prenait pas de gants avec la gauche française, grande vaincue de la
bataille des idées, qu’il qualifiait de « la plus rétrograde d’Europe » .
Plus généralement, il exprimait sa déception devant le court termisme,
l’immédiateté, l’absence de réflexion et de vision qui, selon lui,
caractérisent une classe politique à court de souffle, d’idées et de
convictions, dont François Hollande est malheureusement un échantillon
tout à fait représentatif.
Passant du général
aux personnalités, il avait la dent dure en priorité pour son propre
camp. Il n’y cachait pas plus une rancœur que la mort n’avait pas
éteinte envers un Mitterrand qu’il désignait comme un « homme de
droite » qu’il n’y pardonnait les grossières avanies que lui avait fait
subir, encore tout récemment, Laurent Fabius. Quant à ceux, nombreux,
qui se réclament de lui, à commencer par Manuel Valls et Emmanuel
Macron, il ne se reconnaissait pas en eux.
S’il y manifestait
une certaine indulgence pour Chirac ou Juppé, ce texte, on l’aura
compris, est empreint d’une amertume qui est loin d’être injustifiée de
la part d’un homme à qui l’on n’aura confié depuis son retrait de la vie
politique électorale que des missions dérisoires, notamment auprès des
pingouins et des manchots, ou de vagues rapports enterrés par ceux qui
les avaient commandés avant même de leur avoir été remis. Ainsi va la
France, sans doute trop riche de talents pour aller jusqu’à les
employer.
Avec Michel Rocard,
quoi que l’on pense de ses engagements, disparaît un homme de bonne
volonté, un homme qui, même si le temps et l’expérience lui avaient
tanné le cuir, était sans doute trop tendre pour l’univers impitoyable
où il avait tenté, non sans succès, de vivre.