Dimanche
13
nov 2016
Jamet le dimanche ! POUR QUI SONNE LE GLAS
Dominique
Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également
journaliste depuis... toujours tient chaque semaine sur le site de
Debout la France une chronique où il commente très librement l'actualité
politique.
Des ultras de 1815, de ces cohortes
d’aristocrates et de prêtres qui, rentrés en France dans les fourgons de
l’étranger après vingt-cinq ans d’émigration, avaient pour seul
programme la restauration de l’Ancien Régime et le châtiment des idées
et des hommes de la Révolution, on a pu dire dans une formule célèbre
qu’ils n’avaient rien appris et rien oublié. Des oligarques
contemporains, de cette société de connivence installée dans le confort
intellectuel et moral que donnent l’argent et le pouvoir, on ne pourra
que constater qu’aussi longtemps qu’ils l’ont pu, ils n’ont rien compris
et tout ignoré.
Les avertissements,
pourtant, n’auront pas manqué depuis le début du XXIe siècle. Pour ne
retenir que les plus spectaculaires et les plus significatifs, le coup
de tonnerre des referendums français et néerlandais de 2005, et plus
récemment le tremblement d’Angleterre du Brexit auraient dû éclairer les
classes dirigeantes sur les sentiments et les ressentiments des
dirigés. Le séisme de mardi dernier ouvrira-t-il les yeux des
gouvernants, de leurs soutiens, de leurs serviteurs et de tous les
profiteurs de la mondialisation heureuse sur les souffrances, les
craintes, les aspirations, les colères et la révolte des gouvernés ?
Oui, s’ils peuvent, oui, s’ils veulent bien les ouvrir. Mais auront-ils
enfin le courage de la lucidité, tireront-ils les conséquences du
camouflet historique que viennent de leur infliger soixante millions
d’électeurs américains ? Au vu de certaines réactions, il est permis
d’en douter, et peut-être est-il trop tard pour leur pardonner le mal
qu’ils ont fait, en sachant parfaitement ce qu’ils faisaient.
Nul ne peut dire,
c’est-à-dire prédire le président que sera Donald Trump, pour le
meilleur ou pour le pire. Le monde ne fait que découvrir l’homme qu’il a
été, après avoir vu surgir des profondeurs du néant ce candidat que ses
pitreries, ses outrances, ses approximations, ses injures, sa
vulgarité, sa grossièreté, son ignorance, la bassesse de son vocabulaire
et de son âme semblaient condamner dès le départ à une élimination
sèche et que l’on a vu avec stupeur défaire les uns après les autres
tous ses concurrents « républicains » pour triompher finalement, sur le
fil, de son adversaire « démocrate ».
Face à ce clown,
Hillary Clinton paraissait élue d’avance. Imbattable. Pas seulement, pas
tellement, à cause de l’expérience du gouvernement dont elle se
prévalait. Et moins encore à cause de la confiance, de la sympathie, de
l’enthousiasme que du premier au dernier jour de sa campagne elle a été
incapable d’inspirer à ses propres partisans. Mais tout simplement parce
qu’elle avait derrière elle, outre l’actuel et l’ancien président,
outre Barack et Bill, outre Bush senior et Bush junior, Wall Street, la
Silicon Valley, Hollywood, la finance et les paillettes, la puissante
machine du Parti de l’âne, une bonne moitié des aparatchiks du Parti de
l’éléphant et la quasi-totalité des médias. C’était joué. Elle a perdu.
Et si elle a perdu,
ce n’est pas en dépit de ces soutiens. C’est à cause d’eux. Sa défaite
est fondamentalement la leur. Traités en mineurs, en enfants indociles
qui ne méritent, s’ils s’écartent du droit chemin que leur indiquent les
sachants, les savants, les dominants, que le zéro pointé, le bonnet
d’âne et la mise au piquet, les gros bataillons des « ploucs »,
l’immense armée de ces « pauvres Blancs », de ces Américains de seconde
zone qu’elle a osé qualifier de « pitoyables » ont refusé de voter pour
la représentante la plus symbolique de ceux qui ont été incapables
d’assurer leur sécurité, de garantir leur identité, de faire revenir la
prospérité, de ceux qui les ont abandonnés au grand vent de la crise, de
ceux qui les ont privés de leur emploi, expulsés de leurs logements,
dépouillés de leur dignité, de ceux qui leur ont fait le monde injuste,
inégal, dérégulé et dangereux où on prétend les faire vivre et dont ils
ne veulent plus.
Dans un réflexe
pavlovien, les porte-parole de l’élite, qu’ils soient américains, qu’ils
soient français, hélas - mais ce sont bien les mêmes des deux côtés de
l’Atlantique, ont comme d’habitude condamné des résultats qui n’étaient
pas ceux qu’ils avaient annoncés, qui n’étaient pas ceux qu’ils
souhaitaient, et qui, surtout, étaient de nature à ébranler leur
hégémonie. Certains commentateurs, à qui la déconvenue a fait perdre la
tête, sont allés jusqu’à remettre en cause le principe du suffrage
universel et en appeler de l’erreur des « ploucs » à la correction par
leurs représentants désavoués.
C’est s’exonérer à
bon compte de la responsabilité que portent les uns et les autres. La
déroute de Mme Clinton, c’est le rejet, c’est la défaite de ce que les
Anglo-saxons appellent l’Establishment et que nous connaissons sous le
nom de Système. Pour qui sonne le glas ? Pour les vieux partis de
gouvernement, piliers vermoulus d’une société condamnée, pour les
coauteurs et complices, depuis trois décennies, de nos divisions, de
notre déclin, de notre décadence.
Pourquoi tant de
piaillements, tant de cris d’orfraie, tant d’effroi, tant
d’encouragements au désordre et à l’émeute après qu’un grand peuple
s’est exprimé, dans le calme, en toute régularité, conformément aux
usages et aux règles de la démocratie ? Parce que l’événement a rappelé à
ceux qui pouvaient en douter que, dans ce régime, le peuple, en effet, a
entre les mains la seule arme, pacifique mais absolue, qui lui permet
d’avoir le dernier mot et de renverser sans violence toutes les fausses
idoles : son droit de vote. Impossible n’est pas plus américain que
français. Faut-il rappeler qu’il y a dix-huit mois celui qui est
désormais l’homme le plus puissant du monde était crédité de 1% des
intentions de vote ? Tout est de nouveau possible.
L’avenir est entre
nos mains. Il est ce que nous en ferons. Voici venir le temps des
surprises et des outsiders.
Dominique Jamet
Vice-Président
Journaliste et écrivain, chroniqueur a Marianne, ancien directeur de la BNF