Dimanche
12
fév 2017
Ils sont forts ces roumains !
Dominique
Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également
journaliste depuis... toujours tient chaque semaine sur le site de
Debout la France une chronique où il commente très librement l'actualité
politique.
Un ancien Premier ministre –tiens tiens ! – cinq
ministres, seize députés, cinq sénateurs, quinze présidents ou
vice-présidents de conseils départementaux, quatre-vingt-dix-sept maires
ou maires adjoints, trente-deux directeurs de compagnies publiques, des
centaines d’élus locaux, poursuivis, arrêtés, incarcérés, condamnés,
pour détournement de fonds publics, fraude fiscale, blanchiment d’argent
sale, tel est le bilan pour la seule année 2015.
A l’aune de ces chiffres impressionnants, certains
prendront conscience de l’ampleur du mal et des ravages de la
corruption, cette gangrène qui touche les milieux dirigeants,
contamine la classe, ou faut-il dire la caste politique et, de proche en
proche, infiltre, démoralise et pourrit l’ensemble de la société, et
ils s’en affligeront ou s’en affoleront. D’autres, optimistes, prendront
la mesure de l’intensité et des résultats spectaculaires de la lutte
engagée depuis peu contre les coupables, si haut placés qu’ils soient,
de ces malversations, de ces délits, de ces atteintes à la probité et,
de proche en proche, à l’intérêt, à la cohésion et au moral de la
nation. Ceux-là se réjouiront et verront dans le nouveau cours de la
justice une raison de ne pas désespérer de l’homme et de l’avenir.
Rien de tout cela, à vrai dire, n’aurait été
possible si l’un des plus hauts magistrats du pays, le procureur en
charge du Parquet national anticorruption, et si le chef de l’Etat
lui-même n’avaient conjugué leurs efforts pour lutter contre le crime
en col blanc et le terrasser. La première, Laura Codruta Kövesi,
protégée par le statut qui garantit son indépendance, n’a pas hésité à
poursuivre le frère de l’ancien président de la République ou à mettre
en examen l’ancien Premier ministre qui l’avait pourtant nommée à son
poste. Le second, Klaus Johannis, un protestant austère, issu de la
minorité allemande de Transylvanie, a refusé de confier la direction du
gouvernement à ce même ancien Premier ministre ou à son successeur, chef
du Parti social-démocrate majoritaire, mais condamné pour fraude
électorale et poursuivi pour détournement d’argent public. Rien,
surtout, n’aurait été acquis sans le soutien massif, sans la
mobilisation sans précédent, sans les gigantesques manifestations,
contre les fraudeurs, les voleurs, les pourris, du peuple tout entier.
Du peuple roumain.
Car tout cela, -qu’est-ce que vous alliez
croire ? - ne s’est pas passé sur les bords de la Seine, à Paris, en
France, mais sur les rives du Danube, à Bucarest, en Roumanie. Et ce ne
sera pas trop du Danube pour nettoyer les écuries des modernes Augias.
Dieu sait en effet si la corruption, héritée entre
autres de quatre siècles de domination ottomane, semblait
indélébilement inscrite dans les gènes de nos amis roumains. Dieu sait
si, depuis la chute dramatique du couple Ceaucescu, ce cancer semblait
avoir métastasé une société qui cumulait les lourdeurs, les vices et les
perversions de la bureaucratie communiste et les débordements de toutes
sortes d’un libéralisme incontrôlé. Du reste, si, dix ans après
l’adhésion de leur pays à l’Union européenne, plus d’un million de
Roumains – 5% de la population, un actif sur dix – en grande partie les
plus jeunes, les plus dynamiques, les plus diplômés, ont quitté la terre
natale pour gagner l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, ce n’est
pas seulement pour y trouver un emploi, de meilleurs niveaux de vie et
de salaire, mais aussi pour échapper à un monde étouffant et méphitique
de passe-droits, de privilèges, de combines, de copinages, de
pots-de-vin, de dessous de table, pour respirer ailleurs un air plus
pur.
Dieu – et le diable - savent aussi que les
défenseurs et les profiteurs du « système », aussi accrochés à leurs
prébendes que jadis, nous dit-on, la vérole au bas-clergé, ont tout fait
pour rester les maîtres du jeu. Il a fallu la démonstration de force,
pacifique mais résolue, de manifestants descendus par millions dans la
rue, pour faire capoter la misérable astuce de l’actuelle majorité
social-démocrate visant à adapter le seuil des poursuites judiciaires au
montant des détournements reprochés à son chef. Il devrait en être de
même, dans les mêmes conditions, d’une ultime manœuvre du même acabit.
Candidat à l’élection présidentielle française,
Nicolas Dupont-Aignan, nous le savons, mais les Français sont encore
trop nombreux à l’ignorer, entend déclarer inéligibles à vie les hommes
politiques condamnés pour corruption. Imaginez un Parlement où ne
seraient plus admis à siéger, citons au hasard Jean-Noël Guérini,
Claude Guéant, Sylvie Andrieu, Maryse Joissains, Patrick Balkany,
Jean-Christophe Cambadélis, Serge Dassault… et quelques autres. La
force et le prestige de la démocratie représentative en seraient-ils
diminués ?
Nous en sommes encore loin. On regrette de devoir
le dire, mais la France, depuis des années, s’est trop longtemps
dispensée de faire le ménage dans les recoins obscurs de sa vie
politique, là où se cachent les loups, les araignées et les cloportes.
La France, qui si longtemps, a fait la leçon au monde, est désormais
montrée du doigt, à juste titre, dans ces pays proches du nôtre où une
vie privée irréprochable est exigée de ceux qui aspirent à mener une
carrière publique. L’exemple, aujourd’hui, nous vient d’où on ne
l’attendait pas. Est-ce trop demander à la France que d’être aussi
propre que la Roumanie ?