Dimanche
12
mar 2017
Jamet le dimanche ! - David et Goliath
Jamet le dimanche !
DAVID ET GOLIATH
Egalité : ce mot, ce beau mot figure depuis les origines au nombre des
trois valeurs essentielles qui fondent notre République. Il est inscrit
dans notre droit constitutionnel, il brille au fronton de nos bâtiments
publics, écoles, mairies ou ministères. Il s’en faut pourtant que la
pratique soit toujours conforme à la théorie, que ce soit dans le
domaine économique et social, que ce soit ailleurs. La distance est
parfois minime, mais trop souvent considérable, qui sépare l’égalité de
droit et l’inégalité dans les faits, et je n’en veux pour preuve que les
conditions, de plus en plus contestables dans lesquelles est organisée
l’élection présidentielle, dont chacun s’accorde à reconnaître depuis
1965 qu’elle est un moment fort de notre vie politique et le pilier de
nos institutions.
Le principe de la réforme voulue par le général de
Gaulle et entérinée par le referendum est pourtant on ne peut plus
simple. Tout citoyen français en possession de ses droits civiques, sans
distinction de sexe, d’âge, d’origine, de confession ou d’opinion, est
habilité à se porter candidat à cette élection. Mais le diable, on le
sait, se niche dans les détails…
En soumettant la validité d’une candidature au
parrainage de cent élus, locaux ou nationaux, puis européens, le
législateur n’avait au départ d’autre souci et d’autre but que d’écarter
de la compétition les farfelus, les déséquilibrés et les mégalomanes
ou les commerçants en quête de publicité. En élevant ce seuil à cinq
cents patronages, on n’est pas toujours parvenu à décourager et à
éliminer les zozos. En revanche, il s’est avéré que la divulgation
aléatoire des noms de certains parrains puis, comme c’est désormais le
cas, la publication intégrale et immédiate de leur liste avait pour
effet d’intimider, d’effrayer et finalement de dissuader nombre d’élus
qui craignent à juste titre, hélas, la réprobation de leurs mandants et,
pire encore, les représailles des grands barons municipaux,
départementaux, régionaux et parisiens que l’on a laissé proliférer
sur nos « territoires ».
En tout état de cause, rien n’est plus facile aux «
grands candidats », affiliés à de « grands partis », que de réunir les
dits parrainages, d’un simple claquement de doigts, tandis que les
isolés, les indépendants, les novateurs, les dissidents, tous ceux qui
ne rentrent pas dans le rang, ont le plus grand mal à les obtenir et y
consacrent des mois, voire des années d’énergie et d’effort pour les
obtenir, quitte à échouer plus ou moins près du but. C’est ainsi qu’on
aura vu cette année des candidats à la candidature personnellement ou
idéologiquement qualifiés – je pense à des personnalités aussi diverses
qu’Henri Guaino, Rama Yade, Jean Lassalle, Philippe Poutou, Pierre
Larrouturou, voire l’amusant Alexandre Jardin, buter sur l’obstacle que
réussissaient paradoxalement à sauter MM. Asselineau ou Cheminade.
Ce barrage filtrant franchi, se posent de basses
questions matérielles, étrangement résolues. Alors qu’une réglementation
sévère et tatillonne -à l’opposé de ce qui se passe par exemple aux
Etats-Unis - limite les possibilités d’appel à la générosité des
donateurs et donc les budgets de campagne des « petits candidats », le
problème des formations installées et représentées, généreusement
financées par l’argent public, serait plutôt – comme on l’a vu notamment
en 2012 – de ne pas dépasser le plafond, pourtant largement calculé,
des dépenses autorisées.
Deuxième inégalité que complètent et qu’aggravent
les dispositions qui encadrent les temps de parole et d’antenne accordés
aux différents compétiteurs. Mis à part les quinze derniers jours
avant le scrutin, tardive concession au principe d’égalité, alors que la
presse écrite est libre d’assurer en toute partialité la couverture de
la campagne, les médias audiovisuels modulent l’accès à leurs micros, à
leurs studios, à leurs plateaux en fonction des résultats d’élections
passées et périmées, de sondages aussi peu fiables que naguère les
prévisions météorologiques. D’où une scandaleuse distorsion entre les
uns et les autres. Régulateur des ondes et institutionnellement garant
de la diversité et du pluralisme des opinions, condition sine qua non
d’une vie démocratique, le CSA laisse faire et se fait le spectateur
passif, très vaguement boudeur, d’une situation où les « grands
candidats » et leurs partis bénéficient d’une présence jusqu’à quarante
fois supérieure à celle de leurs concurrents moins heureux. Pire, si
rien ne vient remettre en cause les dispositions annoncées, les favoris
du moment auront tout loisir de faire connaître leur personne et leurs
idées, de discuter, de comparer, de débattre, ce qui serait interdit aux
« petits candidats » et ce qui introduit au passage une distinction
toute nouvelle entre « grands électeurs », associés au débat et « petits
électeurs » qui, avec leurs candidats, en sont exclus. Etrange système
qui favorise le fort, pénalise le faible et, sous le nom provocateur
d’équité, cautionne l’injustice, la discrimination et la triche.
Qu’en résultera-t-il ? L’histoire et la légende
ont immortalisé des combats inégaux où le bon, défiant tous les
pronostics, terrassait le méchant. L’un des plus fameux est bien
entendu celui qui opposa David et Goliath et vit, dit-on, un jeune et
frêle berger abattre le redoutable géant qu’il affrontait en duel. Mais
si le champion d’Israêl triompha du colosse philistin, c’est parce
qu’on lui ne lui avait pas retiré la possibilité d’utiliser sa fronde.