Dimanche
01
mai 2016
Jamet le dimanche ! Les oies du Capital.
Dominique
Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également
journaliste depuis... toujours tient chaque semaine sur le site de
Debout la France une chronique où il commente très librement l'actualité
politique.
Le referendum est maintenant proche, qui permettra
aux électeurs britanniques de décider, en toute liberté, en toute
indépendance, s’ils souhaitent demeurer au sein de l’Union européenne
(où ils jouissent d’ores et déjà d’un statut largement dérogatoire) ou
s’ils coupent les liens qui les rattachent à M. Juncker, à M.Schultz, à
Mme Merkel, au Berlaymont, et choisissent de faire voile vers le large.
A l’approche de l’échéance fatidique, bonnes âmes,
bons apôtres et bons conseilleurs, qui ne sont pas les payeurs,
multiplient en toute objectivité, en tout désintéressement, les
avertissements, les mises en garde, les cris d’alarme à l’adresse de nos
voisins, et néanmoins amis, d’outre-Manche. Il n’est de jour, il n’est
de support qui ne voient spécialistes de l’économie, extra-lucides de la
prévision, éditorialistes, chroniqueurs, correspondants, hommes
politiques, lobbyistes travestis en frères prêcheurs monter en chaire et
prédire rien de moins que l’Apocalypse à la Grande-Bretagne si, par
malheur, et en dépit de leurs objurgations le « non » devait l’emporter
le 22 juin prochain.
Dès le lendemain, nous assènent-ils en effet avec
la tranquille assurance des VRP, des diseurs de bonne aventure, des
faiseurs de pluie et des escrocs, la livre s’effondrerait, la City ne
serait plus que l’ombre d’elle-même, le P.I.B. serait amputé, le chômage
déferlerait sur l’île, les centaines de milliers de jeunes Français,
les millions d’immigrés qui sont venus chercher emploi et fortune de
l’autre côté de la Manche seraient contraints de boucler leurs valises,
l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord feraient sécession, le
monde entier boycotterait le Royaume-Uni qui déchoirait immédiatement de
son rang de cinquième puissance économique mondiale, une pluie de
sauterelles s’abattrait sur les Midlands, le prince William et Kate
Middleton donneraient naissance à des veaux marins, et la forêt de
Dunsinanne se mettrait en marche vers le château de Windsor. Pour
commencer.
Naturellement, ils n’en savent rien – et nous non
plus. Naturellement, la situation inédite que créerait une rupture
entre Londres et Bruxelles entraînerait des conséquences nouvelles,
auxquelles les uns et les autres devraient faire face et sur lesquelles
les gens sérieux, de part et d’autre du Channel travaillent dès à
présent, dans l’ombre. On rappellera quand même que la Grande-Bretagne,
en tant que royaume et que peuple, est constituée depuis près de mille
ans, qu’elle a traversé victorieusement de bien pires orages, qu’elle
existait avant 1972 et qu’elle continuera d’exister après 2016. On
observera que, plus prudents, plus avisés et plus heureux que d’autres,
les gouvernements de sa Majesté, tout en rejoignant officiellement la
Communauté européenne, avaient pris soin de conserver la maîtrise de
leur monnaie, de leur budget, de leurs frontières et que ces points
essentiels demeureront inchangés, quelle que soit l’issue du referendum
de juin. On notera que, dans l’hypothèse d’une victoire du « non », la
Grande-Bretagne et ses partenaires européens disposeront de deux années
pleines pour mettre au point et éventuellement confirmer ou infléchir
leurs relations économiques, financières, diplomatiques, militaires et
politiques, et que tout, bien évidemment, se passera sans drame, sinon
sans difficultés, entre négociateurs réalistes, dès lors que le peuple
anglais aura tranché et qu’il faudra bien en prendre acte. La Terre n’en
continuera pas moins de tourner, la Tamise de couler et la City de
prospérer.
Mais d’où vient le troublant ensemble du chœur des
pleureuses qui, de ce côté de la Manche, ont déjà pris le deuil dans la
perspective de la chute de Babylone ? D’où vient cette belle unanimité
que nous avions déjà constatée, vécue et subie en 1992, lors du
referendum sur Maastricht, et de nouveau en 2005, lors de la campagne
qui devait aboutir au non majoritaire et bientôt bafoué du peuple
français au traité constitutionnel européen ?
Ne cherchez pas, et surtout ne cherchez pas la
réponse dans les colonnes de vos journaux ou sur les plateaux de la
télévision. Comme en 1992, comme en 2005, les médias français ne font
que refléter des positions et des intérêts qui ne sont pas ceux de tous
les Français, mais d’une minorité dirigeante, d’une caste déconnectée
de la réalité de notre pays. Les grands industriels, les grandes
multinationales de l’armement, du bâtiment et du luxe, comme les
majorités successives, de droite ou de gauche, qui contrôlent et
verrouillent le secteur privé et le « service public » de l’information
ont fait depuis des décennies le choix du libre échange, du fédéralisme,
de la mondialisation, du libéralisme sans frein ni règles, au détriment
de millions de victimes qui ne vont pas dans le sens de leur histoire.
Aux moments décisifs, et celui-ci en est un, les uns et les autres
veillent au grain et mobilisent leurs troupes et leurs mercenaires. Si
la vigilance légendaire des oies du Capitole a sauvé Rome, celle des
oies du Capital ne se déploie qu’au service de la finance mondiale. Les
prophètes de malheur que l’on rencontre à tous les carrefours ont repris
le rôle éternel de Cassandre. Mais lorsque Cassandre annonçait la chute
de Troie, elle n’était pas payée par les Grecs.
Dominique Jamet
Vice-Président de Debout La France