Dimanche
01
jan 2017
Jamet le dimanche ! - Syrie : entre guerre et paix
Si
la guerre, pour reprendre la fameuse définition de Carl von Clausewitz,
ce général prussien plus célèbre comme théoricien que comme praticien
de l’art militaire, n’est rien d’autre que « la continuation de la
politique par d’autres moyens », la formule peut aussi bien être
inversée, tant la politique est parfois d’évidence la continuation de la
guerre par d’autres moyens, l’une comme l’autre étant finalement
fondées sur des rapports de force.
Il est vrai que les moyens de la guerre et ceux de
la politique ne sont pas les mêmes, - celle-ci est censée ne pas
recourir à la violence, consubstantielle à celle-là – mais le but de la
guerre est bien d’atteindre des objectifs politiques, et, de son côté,
lorsque les armes se taisent, la politique, qui fait sa réapparition
sous le nom élégant de diplomatie, est étroitement conditionnée par les
résultats de la guerre, sur la base desquels il s’agit de retrouver et
d’organiser la paix.
Encore ne faut-il pas se tromper de tempo. A
partir de quand et jusqu’à quel point la parole est-elle aux armes, à
partir de quand et sur quelles bases, les armes cédant à la toge, le
champ de bataille doit-il faire place au tapis vert des tables de
négociation ? « Il faut savoir terminer une grève », disait Maurice
Thorez au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Il faut savoir
terminer une guerre, et c’est encore plus difficile.
Le conflit syrien entrera bientôt dans sa sixième
année. Approche-t-il enfin de son terme ? Pour la première fois depuis
longtemps, une aube d’espoir, encore hésitante et fragile, se lève sur
les ruines et les tombes. L’heure a-t-elle enfin sonné d’une trêve
durable, qui déboucherait sur un cessez-le-feu réel, préalable à la
construction d’un nouvel équilibre, et du retour de la paix ?
Ne nous leurrons pas. Une première étape est franchie, mais la voie
déblayée par l’effondrement de l’opposition interne n’est pas encore
rouverte à la circulation. Le drame syrien, depuis 2011, n’a pas
seulement changé de dimension mais de nature. De nouveaux enjeux sont
apparus, de nouveaux acteurs sont intervenus, de nouveaux adversaires
ont surgi. Il ne s’agit plus depuis déjà longtemps d’une révolte et de
sa répression, d’un « massacre » ou d’une simple et atroce guerre
civile. Le choix n’est plus entre le soutien à une sanglante dictature
familiale et son remplacement par des forces démocratiques de plus en
plus hypothétiques, mais entre la mainmise de Daech et de la nébuleuse
des groupes fanatiques qui lui sont associés ou la victoire de la
coalition hétéroclite qui est supposée défendre la civilisation contre
la barbarie. La guerre en Syrie est aujourd’hui un élément parmi
d’autres de la guerre engagée sur tous les fronts du Proche-Orient, du
Moyen-Orient et d’ailleurs par un islamisme sans frontières et sans
faille contre tout ce qui lui fait obstacle.
Une propagande doucereuse et multiforme nous a
seriné pendant des années qu’en Syrie la solution ne pouvait être que
politique et qu’il fallait soutenir contre l’horrible Bachar les
diverses et sympathiques factions qui prolifèraient sur place, y compris
les plus extrémistes. Ce fut peut-être vrai, ce ne l’est plus. Ceux
qui adhèrent encore à cette thèse, naïfs, capitulards ou complices, font
inconsciemment ou délibérément le jeu de l’ennemi. Imagine-t-on
Roosevelt, et Churchill, entre 1941 et 1945, retenant leurs coups contre
les puissances de l’Axe, parachutant des armes à des fascistes modérés,
envisageant une paix de compromis avec le Grand Reich, repoussant avec
horreur l’idée d’une coopération avec l’URSS stalinienne ? S’ils
avaient fait la guerre à l’Allemagne nazie ou au Japon impérial comme
les Etats-Unis, les émirats et l’Union européenne la font à Daech,
Hitler et ses fidèles auraient encore longtemps fait la fête dans le
bunker de la Chancellerie.
Ceux qui font la guerre à moitié, fût-ce avec les
meilleures intentions du monde, ne font que la prolonger et l’envenimer.
Des cris de réprobation et d’horreur ont accompagné la bataille d’Alep.
Les bons apôtres de la riposte graduée ont parlé de crimes de guerre
comme si la guerre n’était pas un crime. Mais Alep est tombée. Autre
front, autre méthode, la guerre à petit feu, la drone de guerre. Au
rythme actuel, c’est pour des mois encore, sinon davantage, que Mossoul
et Raqqa sont condamnées à une double peine : courber la tête sous les
bombardements « ciblés » de l’aviation occidentale, qui sèment la mort
et récoltent la haine, mais aussi sous le joug implacable de l’Etat
islamique, aussi expert dans l’art de répandre la terreur que dans celui
de diffuser sa propagande.
La chute d’Alep, comme en d’autres temps celle de
Stalingrad, a sans doute constitué un tournant dans la guerre de Syrie.
La Russie, l’Iran et désormais la Turquie, présents sur le terrain,
n’ont pas hésité à aborder le problème syrien par la face Nord, celle
des armes. Ayant pesé d’un poids décisif sur la solution militaire, ils
sont en situation d’imposer leur solution politique, Yalta régional où
la chaise des Occidentaux pourrait bien rester vide. Les Etat-Unis et
leurs suiveurs européens assurent garder les mains propres, mais ils
n’ont pas de mains. Mauvais joueurs et mauvais perdants, les uns et les
autres dénoncent à l’envi le retour fracassant et victorieux de la
Russie sur le devant de la scène. De quelle supériorité, de quel succès
peuvent se prévaloir les responsables du gâchis ? Est-ce bien contre
Poutine et ses alliés ou contre Obama et ses valets qu’il serait le plus
just ifié de prendre des sanctions ?